Le metteur en scène avait fait fort. Il faut reconnaître qu’il ne manque pas d’imagination. Lorsqu’il avait demandé qui serait volontaire pour paraître dans la scène d’ouverture, un rôle muet mais capital, j’ai levé la main bien sûr. Toujours prête à partir vers l’inconnu, moi. Quelle idiote ! Car évidemment, je n’avais pas lu le texte.
— Tu es sûre de toi Karine ?
Quelle question ! Bien entendu que je l’étais, sûre et certaine même. Depuis que je faisais partie de cette troupe amateur, je n’avais qu’une envie : coucher avec le metteur en scène. Avec ses grands yeux bleu turquoise, sa barbe brune soignée, sa carrure de rugbyman et son sourire enjôleur, Alex avait de quoi faire fondre un couvent de nonnes. Je n’allais pas rater une aussi belle occasion.
J’ai tout de suite remarqué le regard noir que me lançaient les trois autres filles et je leur ai souri poliment, l’air aussi niais que je pouvais.
— Très bien, on se voit à la fin de la répétition alors.
Dans la troupe, outre un peu de figuration, j’étais censée jouer les habilleuses. Je me suis éclipsée en coulisses car le costume du jeune premier avait besoin d’une retouche. Ce crétin avait forcé sur la choucroute ses derniers temps et son pantalon taillé sur mesure ne lui allait plus. Cela m’a pris un bon moment, assez pour qu’Alex passe un savon à la diva de la troupe qui en prenait un peu trop à ses aises. Et qu’il recadre ses acteurs qui décidément ne comprenaient rien à ses indications.
— Je crois que tout le monde est fatigué ce soir. Rentrez chez vous et bossez votre texte. Je vous rappelle que la première est dans un mois. On se revoit après-demain.
Tout le monde est reparti en grognant et moi je suis restée, pleine d’espoir et des papillons dans le ventre.
Alex est venu me rejoindre.
— Si ça ne t’ennuie pas, je préfère qu’on se parle chez moi. Il faut que je t’explique mon idée.
Dans mon ventre, les papillons ont voleté de plus belle.
Il n’habitait pas loin, un grand appartement sous les toits où il nous avait déjà invités pour une pizza partie avec toute la troupe après une première la saison dernière. En chemin, il m’a expliqué que certains mots étaient interdits dans un théâtre. Cordes faisait partie du nombre. Une sombre histoire très ancienne où se mêlait alerte incendie et artiste pendu. Je n’ai pas tout compris mais je m’en foutais. Alex m’emmenait chez lui, on serait tous les deux et rien ne comptait que cette soirée seule avec lui.
— Installe-toi. Je te sers un verre ?
Coincée au fond du canapé, je me suis senti d’un coup terriblement petite. Alex était là, debout devant moi, imposant et souriant, une bouteille whisky dans la main gauche, une canette de bière dans la droite.
J’ai choisi le whisky. Je n’aurais pas dû.
Il m’a parlé de cordes, de contraintes et de relâchements, d’exposition et de partage. De cette scène inaugurale qu’il voulait violente et sans concession. C’est quand il m’a montré l’image qu’il voulait obtenir sur scène que j’ai compris.
J’en étais à mon deuxième verre et je n’ai pas l’habitude des alcools forts. Il m’a tendu une revue en noir et blanc et j’ai failli recracher mon glaçon.
Sur la photo, la fille était debout sur une jambe, l’autre repliée vers les fesses, ligotée par une corde, mollet contre cuisse, le buste enserré dans un savant entrelacs de cordes qui lui faisait saillir les seins qui débordaient d’un kimono ouvert sur son corps nu. J’ai regardé Alex.
— Et tu voudrais que moi… sur scène…
— Tu t’en sens capable ?
— Bien sûr !
Je suis sotte parfois. Je m’en veux souvent de mes emportements. Certes, je n’avais aucune idée de ce que vers quoi je m’aventurais, mais là, je me sentais en confiance. Tout pouvait arriver et ça ne serait que du bon. Je le savais.
Alex a disparu sans sa chambre et il est revenu avec à la main un gros sac en toile qu’il a ouvert. À l’intérieur, des écheveaux de cordes rangées avec soin. Une odeur forte s’en dégageait et j’ai eu envie d’y plonger le nez.
Il m’a juste dit « déshabille-toi » et dans les trois minutes, j’étais nue devant lui.
Avec une infinie délicatesse, il a commencé à entourer mon corps de ses liens de chanvre, attentif à mes sensations. Il aurait pu me baiser sur place. Je n’aurais pas refusé, bien sûr. Mais non. Nous étions partis sur autre chose et c’était parfait comme ça. Les photos prises durant cette première séance d’entraînement étaient criantes de vérité. Pour la première fois, je me trouvais belle et attirante. Totalement impudique. Désireuse et désirable.
— Tout va bien ? Ce n’est pas trop fort ? Dis-moi si tu te sens mal.
Oh que si c’est fort ! Mais continue Alex, je t’en prie, je sens que j’adore déjà !
Je restais là entre ses mains, abandonnée, souriante. Prête à tout.
Une heure plus tard, je reposais dans ses bras qui m’enserraient. Détendue. Heureuse. Alex me caressait la nuque et je ronronnais. Nous n’avions pas fait l’amour mais c’était encore mieux que si nous l’avions fait. Et nous avons recommencé tous les soirs jusqu’à la première.
Ce soir-là, je l’ai laissé m’encorder au centre de la scène alors que derrière le rideau prêt à s’ouvrir, tout le monde s’affairait à se mettre en position. Il avait convenu qu’il valait mieux que je porte une culotte, blanche de préférence, même s’il aurait préféré – et moi aussi – que j’expose mon sexe dans toute sa crudité.
— Tout va bien chaton, tu es sûre ?
— Tais-toi. Tu ne vas pas flancher maintenant quand même !
Il m’a embrassé dans le cou, il m’a bandé les yeux puis il a tiré sur la corde principale. Ma jambe pliée s’est levée, je me tenais en équilibre sur la pointe des pieds. J’ai entendu le bruit feutré du rideau en train de s’ouvrir, suivi par un silence profond, celui des spectateurs que j’imaginais bouche bée devant la scène imaginée par Alex. Autour de moi, toute la troupe se tenait debout, les mains à hauteur des yeux, comme des voyeurs qui refuseraient de regarder. Ils étaient tous vêtus de blanc, immobiles dans une demi-pénombre, tandis que j’étais au centre de l’attention du public, avec cette lumière crue qui tombait sur moi depuis les cintres.
L’idée d’être ainsi exposée, tout à la fois nue et habillée, face à un public invisible mais qui pourrait profiter de tous les recoins de mon corps m’excitait déjà lors de nos répétitions. Là, sur scène, les sensations étaient démultipliées. A tel point que ce n’était plus seulement les papillons qui s’agitaient dans le haut de mon ventre. Mais carrément des colonnes de fourmis qui s’attaquaient à ma fente que je sentais commencer à dégouliner.
Le fond de ma culotte devenait de plus en plus humide et une atroce envie de pisser me vrillait le ventre. À quel point cela pouvait il se voir ? Et jusqu’à quand allais je pouvoir me retenir. Le rouge aux joues, j’imaginais une tâche infâme s’élargissant entre mes cuisses écartelées. Je me mordais les lèvres, sur le point de hurler.
Alex je t’en prie, sors moi de là ! Je vais craquer !
Et là, j’ai fait un truc qui n’était pas prévu au programme.
J’ai crié. Un cri de bête blessée. Un son rauque sorti des tripes. Un feulement de chatte déchirée.
À peine si j’ai entendu le son sourd du rideau qui se refermait. Tout comme si je n’ai pas compris qu’Alex me détachait et me portait dans ses bras jusqu’à un coin sombre de coulisses.
— Tout va bien chaton ?
— Alex, j’ai besoin de pisser. Porte-moi.
Et comme dans un rêve, il s’est saisi de moi, m’a serré contre lui et m’a emporté jusque dans les toilettes où j’ai pu enfin m’asseoir et me vider.
Au fur et à mesure que mon urine s’écoulait de ma fente, je pleurais, souriante, détendue et heureuse.
Alex était là à mes côtés, il me regardait et mes larmes coulaient.
— Tu as été géniale ce soir. On recommence demain ?
— Tout ce que tu veux, quand tu veux et comme tu veux. Mais ce soir je t’en prie, fais-moi l’amour comme jamais.
— Promis mon chaton.