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Naïma

Mon père, c’est juste un salopard. Un enfoiré qui n’a eu jamais de cesse de nous pourrir la vie, à Naïma et moi. Quand je l’ai retrouvée chez moi hier soir en rentrant du boulot, pauvre petite boule de terreur pliée en deux sur notre lit, des marques rouges autour du cou, j’ai eu la rage. Une vraie rage. Une de celle qui vous dévaste au-delà de tout. D’un coup, face à son corps sans vie, mon univers s’écroulait. Plus rien ne comptait désormais. Sauf de débarrasser la terre d’une immonde crapule.

Naïma et moi, on s’est connu au collège. Une période trouble pour tout le monde n’est-ce pas ? Un temps suspendu où personne ne sait ce que va devenir sa vie. Sauf qu’avec elle, tout ce qui paraissait flou devenait limpide. Nous étions ensemble et rien d’autre n’avait d’importance. Elle avait des yeux verts qui illuminaient son petit visage de poupée aux boucles brunes et ses lèvres écarlates n’appelaient que des baisers. Nous ne nous en privions pas.

Trois mois après que Naïma n’emménage dans mon appartement, mon père a subitement refait surface. Cela faisait des lustres qu’il avait disparu et je ne m’en portais pas plus mal. Mon père, c’est du genre à se plaindre pour un rien, et à profiter de tout. Toujours sur un coup fumant qui allait le rendre riche, vous voyez le genre. Aux dernières nouvelles, il vivait aux crochets d’une vieille blonde de la cité. Elle avait dû se lasser, comme tout le monde et il se retrouvait à la rue. Je devais absolument le dépanner le temps qu’il se retourne. Je n’avais aucune envie qu’il squatte le canapé du salon, mais Naïma avait insisté. Pour elle, la famille, c’est sacré. Normal avec les parents qu’elle a eus. Alors j’ai cédé et très vite ce fut l’enfer.

Nous partions tôt le matin au travail Naïma et moi, laissant mon père finir de cuver ses bières de la nuit sur le canapé. En rentrant, l’appartement puait la fumée de ces infâmes cigarillos bon marché qu’il s’obstinait à griller malgré son problème de poumon. Sans rien dire, j’ouvrais grand les fenêtres et Naïma ramassait les canettes vides. Le jour où je l’ai surpris dans la salle de bains alors que Naïma prenait sa douche, j’ai pété un câble et je l’ai viré de l’appartement. Il est revenu deux jours plus tard, un bouquet de fleurs à la main et Naïma m’a supplié de passer l’éponge. Je l’ai fait pour elle, et je n’aurais pas dû, pour nous.

Le soir du désastre, mon patron m’a demandé de rester un peu plus tard. Une grosse commande à préparer pour le lendemain. J’étais le seul à pouvoir l’aider, il était dans la merde et je ne pouvais pas refuser. J’ai téléphoné à Naïma pour l’avertir. Elle m’a dit de ne pas m’inquiéter, mon père était sorti boire des coups avec ses potes. J’ai travaillé comme un dingue pour finir au plus vite et j’ai failli me couper un doigt quand mon couteau a ripé sur un os. Sitôt la dernière côte de bœuf préparée, je me suis changé sans prendre le temps de passer sous la douche. D’habitude, je n’aime pas rentrer à la maison avec l’odeur de la viande sur moi.

Quand j’ai poussé la porte d’entrée, j’ai appelé Naïma. Personne n’a répondu. Le salon était vide, tout comme la cuisine. Je suis entré dans la chambre et elle était là, sur le lit où la nuit dernière, nous avions encore fait l’amour. Elle était recroquevillée comme un animal blessé, inerte comme un cadavre encore tiède. La pièce empestait le cigarillo. À peine si j’ai noté la coulée de sperme qui lui souillait les cuisses. J’ai foncé vers la cuisine, j’ai pris mon couteau préféré, celui que j’aiguise toujours avec soin, et je suis sorti à la recherche de mon père.

Il ne m’a pas fallu longtemps pour le trouver assis sur un banc du square comme si de rien n’était, une canette à la main en train de parler aux pigeons. Il n’a pas fait attention à moi lorsque je me suis approché. Sans rien dire, je suis passé derrière lui et tout en lui tenant les cheveux d’une main, j’ai appuyé mon couteau sur la carotide, et d’un geste vif et précis, comme si je devais tuer un animal, je lui ai tranché la gorge de part en part. Tout s’est brouillé ensuite. Il y avait du sang, des cris, et les pigeons étaient partis. Je suis resté à ses côtés assis sur le banc, sa tête posée à mes pieds à côté d’une canette renversée, et j’ai attendu les flics en espérant qu’ils me croient suffisamment dangereux pour qu’ils me tirent dessus. Les bleus ont la gâchette facile dans le quartier.

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